Attentat contre Charlie Hebdo : diagnostic de la crise

Après l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo et la fusillade de Montrouge (92), il est nécessaire d’établir un diagnostic stratégique à chaud. Tour d’horizon des menaces, forces, faiblesses et sorties de crise possibles.

La tragédie de Charlie Hebdo nous a plongés dans l’inconnu d’une crise non conventionnelle. Et nous avons eu la réaction habituelle en trois temps comme l’a prédit Patrick Lagadec, expert dans la gestion de crise, à savoir :

1- Sidération : c’est la première fois qu’on s’en prend à ce point à une rédaction. Que faire ? On n’a jamais vu cela.

2- Réaffirmation des assurances et garanties : nous avons un dispositif policier d’élite avec le Raid et le GIGN. Ils savent faire face à la situation.

3- Bunkérisation : c’est un événement isolé. Je suis Charlie. Nous sommes tous unis derrière les valeurs de la liberté.

Si c’est possible, mettons de côté notre émotion, et elle est grande, pour essayer d’analyser froidement la situation et comprendre les enjeux.

Qui est l’ennemi ?

La première difficulté est de se mettre d’accord sur qui est l’ennemi. Est-ce l’étranger ? Certains pensent que le problème vient du fait de l’ouverture des frontières et de la libre circulation avec les pays de l’Union européenne membres de la zone de Schengen.

Pour ces gens, le problème viendrait de l’étranger. Il faudrait fermer les frontières, reconduire à la frontière tous les étrangers. L’analyse est trop simpliste (nous les bons, eux les méchants) et la solution totalement irréaliste.

Est-ce l’Islam ?

Certains le pensent en Allemagne, en Suède, en Suisse, en Finlande où des gens manifestent dans la rue depuis plusieurs semaines. Depuis le 7 janvier, plusieurs lieux de culte ont été attaqués en France, sans faire de victime. Certains ont peur de la religion musulmane. 

Quelques-uns d’entre eux souhaitent voir les signes de cette religion se faire le plus discret possible. Des mosquées ont été prises pour cible à Noël en Suède. L’analyse me parait encore trop simpliste et rappelle l’antisémitisme du XIXe siècle et du début du XXe siècle en Europe.

Est-ce un acte isolé ?

Si c’est le cas, une fois débarrassé des individus par le GIGN et le Raid, tout devrait rentrer dans l’ordre. C’est la version dominante au lendemain de la tragédie. D’ailleurs, à propos de la fusillade de Montrouge qui a coûté la vie à une policière municipale le 8 janvier, France Info, BFM TV et Le Parisien entre autres commentaient le jour même “Les faits semblent indépendants de l’attaque menée la veille contre le journal Charlie Hebdo”. Cette hypothèse est renforcée par le ministre de l’Intérieur le soir même. Nous sommes en pleine bunkérisation.

Quelles organisations derrière ces attentats ?

Il me semble que l’attentat de Charlie Hebdo et celui de Montrouge sont deux conséquences d’un même mouvement politique de grande ampleur, incarné par Al-Qaïda et Daesh. Si c’est juste, les actes sont liés. Le but des terroristes d’Al-Qaïda et Daech est clair et explicite : faire vaciller les démocraties pour prendre le pouvoir et instaurer une dictature.

Ils se servent de la rhétorique wahhabite pour se confondre avec l’Islam, comme le caméléon prend une autre couleur pour se camoufler. Mais le dessein de ces organisations n’a rien à voir avec celui de la religion. Leur objectif est politique. Le but est la conquête du pouvoir. Et cela passe par la violence.

Si les terroristes qui ont perpétré l’attentat de Charlie Hebdo ont effectivement trouvé leur inspiration en prison, il est fort probable que ce soit un acte inspiré idéologiquement par Al-Qaïda. Al-Qaïda et Daesh sont engagés dans une concurrence féroce pour la conquête du marché mondial du terrorisme.

Pourquoi cette idéologie ?

Leurs idéologies très proches sont le négatif des valeurs de l’Occident et en particulier de la République Française, la démocratie et la laïcité. Et les deux organisations se servent de ce que produit l’Occident pour s’en servir contre lui :

• Nos caricaturistes sont prétextes à leurs attentats.

• Notre liberté d’expression est une aubaine aux mensonges et au déversoir de la haine.

• Nos échecs de politiques d’emploi et d’intégration leur servent à faire douter nos enfants.

• Nos jeux vidéo et Internet sont les appâts pour attirer nos enfants dans leurs filets.

• Nos prisons sont des lieux de conversion au terrorisme.

• Nos enfants leur servent de kamikazes et de chair à canon.

• Notre individualisme lâche leur permet de gagner du terrain.

Fragile unité nationale ?

Je me trompe peut-être dans l’analyse. Ce qui importe n’est pas d’avoir raison, mais de construire une vision commune et de prendre des décisions dans un débat honnête et surtout de se tenir à cette vision et aux décisions prises ensemble. Bref l’union nationale au-delà du deuil et des manifestations de soutien à Charlie Hebdo.

Notre faiblesse est la quête du pouvoir. En politique, toutes les situations sont des opportunités à la prise de pouvoir. Ce qui peut nous faire perdre contre Daech et Al-Qaïda, c’est la politique, c’est-à-dire la prévalence des intérêts individuels. Autrement dit le risque est de dépenser notre énergie à savoir qui de nous a raison plutôt qu’à combattre le terrorisme. 

Or, toute notre défense reste à construire, car nous ne sommes pas prêts. Le Raid et le GIGN sont des atouts insuffisants face au risque de multiplication des actes isolés. De ce point de vue, ne pas convier le Front National à la “marche républicaine” est stupide et l’utilisation que fait le FN de l’affaire est lamentable. L’unité nationale peut-elle durer plus d’une journée sans récupération politique ?

Individualisme lâche ?

La France a élevé la vie au rang du Sacré. Nous avons fait de la paix entre nations la norme. Nous avons fait respecter le droit. Cela a fait de l’Europe, et de la France en particulier, un des endroits du monde dont on envie la qualité de vie. Mais cette position confortable a fait de nous des trouillards.

Nous avons fait un art de la gestion des risques au point de “mettre la trouille dans la constitution” dite Zobrist, faisant allusion au principe de précaution. Dans ce confort, ne sommes-nous pas devenus moins idéalistes et donc plus réalistes et plus individualistes ? Sommes-nous devenus autre chose que des enfants gâtés ?

On n’a plus l’habitude de la guerre. Cela fait 70 ans qu’on n’a pas connu la guerre en France. Ce qui nous est proposé est une sorte de guerre civile à laquelle nous ne sommes pas préparés. Aussi, à la violence inouïe, nous ne pouvons répondre autrement que par une marche républicaine. Jusqu’à quand pourrons-nous manifester librement ?

Moyens limités ?

En réponse au terrorisme, nous allons manifester dimanche. C’est une opportunité de démarrer la nécessaire construction de l’unité nationale. Encore faut-il échapper à la récupération politique. Rien n’est gagné à l’heure où j’écris. Au-delà, quel effet cela aura-t-il sur les terroristes ?

Le ministre de la Culture propose de débloquer un million d’euros pour Charlie Hebdo. Avons-nous d’autres propositions que de créer des musées ? L’esprit de Charlie Hebdo est mort avec la rédaction. Poursuivre l’aventure sera artificiel. N’existe-t-il pas d’initiatives aussi truculeusement subversives que l’était Charlie Hebdo pour qu’on le mette ainsi sous cloche avec l’étiquette d’art officiel maintenant qu’ils sont tous morts ? Faut-il que l’on dépense encore l’argent public qu’on n’a pas (même si ce n’est qu’un million) avant même de solliciter des soutiens individuels ? C’est pour faire rire les terroristes ?

Pour appréhender les auteurs des attentats contre Charlie Hebdo, des moyens impressionnants ont été mis en œuvre : Raid, GIGN, dispositif épervier, renforcement du plan Vigipirate. Au total, 88 000 fonctionnaires sont sollicités. Tant qu’il s’agit d’un acte isolé, l’effort est peut-être tenable. Mais si les actes se multipliaient, serions-nous prêts ?

Cela fait des années que l’on sait que des délinquants insignifiants, nos enfants les plus faibles, se transforment en terroristes dans nos prisons et sur internet. Quelles mesures avons-nous mises en œuvre pour combattre ce fléau ? Avons-nous proposé à ces jeunes des projets alternatifs ?

L’inéluctable régression démocratique ?

La liberté d’expression est meurtrie par l’attentat perpétré contre Charlie Hebdo. Nous en sommes tous émus. Cela fait des années que nous sommes devenus frileux et que nous osons moins l’humour, craignant, notamment, le courroux de leaders communautaristes susceptibles. La terreur semée le 7 janvier va-t-elle nous faire reculer davantage ?

Et si nous nous décidons à renforcer notre arsenal, notamment les moyens juridiques et législatifs, pour protéger dans cette guerre asymétrique contre Al-Qaïda et Daech, cela peut-il se faire sans atteinte à certains principes de liberté ?

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